Rut rural
Paul Rousseau
Édouard est un intellectuel retraité ; Martin, un ex-goon en rémission d’un cancer ; et Jeff, un jeune hyperactif bourré de tics. À la suite des funérailles bilingues et caniculaires de la mère de Jeff, une improbable amitié se nouera entre eux.
Au fil des virées en pick-up et en Ford Thunderbird 1961, ils sillonneront ensemble les Cantons-de-l’Est pour visiter des vignobles et des bars louches, arracher des plants de pot, se baigner tout nus, pique-niquer, philosopher… jusqu’à ce que le passé de bagarreur de Martin le rattrape et vienne tout faire chavirer.
Rut rural, c’est l’histoire de ces trois hommes que la vie, la mort et la maladie réuniront dans des décors de carte postale et leur envers, mais c’est aussi celle de leurs amours. Car ces hommes durs, amateurs de chars et de bon vin, malgré leurs gros défauts et leurs étranges manies, sont avant tout des cœurs tendres.
Robert vira graduellement au rouge, à la manière d’un rond de poêle spiralé, mais l’explosion attendue ne se concrétisa pas. Il finit par tourner les talons en marmonnant d’indistinctes menaces. Une vingtaine de pas plus tard, le poing agité, il se retourna :
— On va se revoir à la maison. Ton boxeur sera pas là pour te défendre !
— Qui ça ?
La question provoqua un nouveau sursaut de Robert, mérité cette fois, car Martin n’était plus très loin. Il rappliquait, les sourcils froncés tel un rapace jaugeant une proie.
— Mêle-toi pas de ça, toi, avertit l’homme à tout faire en pointant un index agressif vers Martin, mais il n’en détala pas moins sans demander son reste.
C’était l’effet que produisait généralement Martin : il faisait sourire les femmes et trembler les hommes.