Une nuit à Aden (Tome I)
Emad Jarar
Essai autant que roman, ce livre permet à la fois de mieux comprendre le rôle de l’Islam et de juger de sa place dans notre civilisation contemporaine. À travers le récit d'un jeune musulman sunnite, il nous fait découvrir le Coran et nous aide à évaluer son influence dans la société actuelle.
Ce roman, en deux tomes, à l’intrigue palpitante d’émotion, raconte la jeunesse d’un Palestinien qu’un destin étonnant et une histoire d’amour hors norme conduisent à la découverte de lui-même, de sa conscience, et de sa relation avec les religions de son enfance, l’islam et le christianisme. Par une introspection à la fois insolite et spirituelle, il nous décrit comment les élans de la divine Providence le mèneront d’Alexandrie à New York, puis Sanaa, Aden, Djibouti, et enfin, Paris. Il est né musulman, certes ; mais sa raison défie cette réalité et son cœur refuse de le suivre. Il réalise peu à peu que cette religion à laquelle il se croyait enchaîné, occulte en fait la vraie nature de ce rite à l’emprise implacable sur un milliard et demi de fidèles…
Un récit captivant. Une réflexion morale et spirituelle sans concession.
Un mois environ se passa. Au détour d’une conversation téléphonique, il m’indiqua qu’il avait revu une dernière fois Maeva, qu’elle allait maintenant beaucoup mieux, et sans que vraiment je l’eusse relancé sur le sujet, il ajouta qu’elle avait eu la maman d’Adèle plusieurs fois au téléphone. Il m’annonça alors qu’Adèle était en France depuis trois semaines et devait bientôt pouvoir retourner vivre chez elle près d’Avignon. Il s’abstint de me donner plus de précisions comme je restais quelques secondes sans réagir, encore saisi par l’émotion ; ce qui l’amena à penser qu’il m’obligerait de ne plus parler d’Adèle, car cela m’eût sans doute peiné davantage, que ma tristesse ne m’avait point laissé, et que je faisais tout pour vainement tenter d’en éloigner mes pensées. Me connaissant bien, il avait à l’estime vite perçu ce qui me trottait dans la tête, et avait compris qu’il fallait que je dissocie pour un temps mon passé du reste de ma vie pour que mon équilibre y trouvât son compte.Sans rien vraiment pouvoir imaginer qui eût pu réellement exciter mon entrain, je tâchais toutefois de profiter de ma nouvelle vie. Il y a que j’y trouvais peu à peu refuge pour que ces pénibles circonstances pussent vite délester ma mémoire ; alors, je m’attelais à recréer des occupations, lesquelles naturellement éloignaient mes pensées d’Adèle et de Khalil.Les mois se passèrent de la sorte, avec ce quotidien et ces nouveaux visages que je côtoyais, lesquels me changèrent bien les idées. Toutes ces nouvelles fréquentations me firent connaître des diversions tout autres ; si stimulantes qu’elles fussent pour l’oubli, elles m’aidèrent bien à combattre ma langueur. La fraternité des gens qui m’entouraient me fit le plus grand bien. Il y a que cette atmosphère relâchée, vivifiante, l’intérêt que je trouvais à mes études, mon nouveau groupe d’amis, tout cela fit qu’un peu d’indolence semblait se charger de tous ces souvenirs pesants. Mais que cela me raffermit l’âme ! Je ne tardais pas d’aller mieux. L’image d’Adèle progressivement se faisait plus floue, un peu plus lointaine, autant que parfois, ma volonté de l’oublier cédât face à son tendre souvenir.Les quelques aventures avec des filles du campus servirent à m’exercer le cœur plus qu’elles ne le soulagèrent, sans jamais le remplir à nouveau ou en pouvoir préparer les forces pour un autre amour[i]. Que ces idylles eussent tout de la passion n’était que douteux, tant le bonheur n’y était pas : l’amour y trop manquait pour qu’elles pussent durer bien longtemps. Ces nouvelles aventures amoureuses, il fallait bien en convenir, étaient trop vite abrégées par la présence qu’occupait encore Adèle et dans mes pensées, et surtout dans mon cœur. C’est que l’existence d’Adèle, quelque invisible qu’elle fût, ne l’était apparemment pas autant pour la finesse des sens de ces jeunes étudiantes qui la jugeaient fort encombrante et considéraient qu’elle prenait une bien trop grande place à leur goût. Ce qui fait que cette présence invisible étouffait injustement le peu d’affection qu’elles étaient disposées à mon égard, tout en leur déniant le mérite que la beauté et le charme de certaines d’entre elles fussent en droit d’exiger. Cela inconsciemment devait sans doute m’arranger. À savoir que, mû par un égoïsme dont seuls les hommes ont le secret, j’eusse été bien incapable de mettre à la mesure des sentiments que j’éprouvais pour chacune d’entre elles, rien de plus que celle d’assouvir mes désirs les plus naturels ; d’entretenir mon esprit et distraire mes pensées aussi ; la plupart de ces jolies créatures s’étaient d’ailleurs vite lassées de cet insolite ménage à trois qu’elles n’étaient pas à même de supporter trop longtemps, même à temps partiel. C’est que je donnais intuitivement à mes conquêtes l’impression frustrante d’avoir enfoui à ce point en moi, sous une carapace, le peu d’attachement qu’elles pouvaient rechercher, et de compte fait, que certaines renonçaient bien vite à trouver. De cette façon, les études me requéraient bien et je passais somme toute des mois tranquilles qui apaisèrent et mon âme, et ma passion contrariée, et à faire tant que de m’attacher à oublier ce qui ne voulait guère me laisser. Les défis de ma nouvelle vie rythmée du quotidien de mes études, s’ils ne pouvaient me libérer complètement de ce spleen qui toujours me tenait, m’aidaient, certes péniblement, à en alléger le souvenir. Mais quelle ne fut ma surprise de découvrir à quel point un dépit amoureux a l’effet d’un aiguillon qui stimulerait la réussite ? Et mes nouvelles études, objet de toutes mes attentions, connurent un remarquable succès à la faveur de mes états d’âme. Si le résultat fut au-delà de mes espoirs, c’est que l’entrain que je ne manquais jamais d’avoir pour mes études machinalement fut le meilleur remède à l’oubli.Khalil avait compris mon désir de passer à autre chose et s’était abstenu de me donner des nouvelles pendant plus d’un an. Non qu’il l’eût fait par détachement, ou à cause d’une propension à éconduire une amitié ; mais uniquement parce qu’il avait bien jugé que ma volonté d’oublier nécessairement passait par un besoin de me reconstruire sans faire appel à mon passé proche auquel il était tant lié.Le printemps s’avançait. Je reçus de ses nouvelles dans une longue lettre en arabe. [i] Jules Barbey d’Aurevilly : « Les diaboliques ».